Texte souvenir d’enfance
En entrant dans la droguerie, une odeur étrange saisissait les narines de Jeanne. Les toiles cirées enroulées sur des tubes métalliques attendaient d’être dévoilées au grand jour pour révéler leurs imprimés fleuris tandis que le bullgomme au mètre ronchonnait dans son coin. En s’avançant dans la boutique au carrelage javellisé, on découvrait une bibliothèque de bidons en tout genre allant de l’eau déminéralisée, de l’acétone à l’ammoniaque en passant par l’alcool ménager parfumé au citron et au détergents dont le carré orange puis le losange rouge rappelaient la prudence. La mère de Jeanne demandait au droguiste revêtu d’une blouse grise de l’essence de térébenthine et de la cire pour encaustiquer ses meubles anciens. Jeanne soupirait d’aise car elle savait qu’un parfum de bois ciré allait envahir la maison pour la journée. Elle se perdait dans les rayonnages, observant les outils de jardinage, les arrosoirs en zinc flambant neuf et gardait le meilleur pour la fin, les savons alignés dans leur boîte qui semblaient exhaler un seul parfum celui du propre, du frais, du câlin. Elle les trouvait plus beaux que les savonnettes de la coop et garderait ce plaisir d’approcher les savons de qualité de son nez pour cueillir une brassée de rose, de violette ou de jasmin.
